La relève
architecturale ligérienne, palmarès 2025
Le 14 mars 2025, un jury de professionnel·les s’est réuni pour saluer le travail de sept équipes d’architectes ligérien·nes. L’appel diffusé en décembre 2024 était explicite sur l’idée que la valorisation de la jeune génération, c’est entre autres « encourager les engagements politiques, écologiques, sociaux qui sous-tendent la fabrication des milieux habités ». L’équipe de commissariat recrutée pour cette édition 2025 souhaite mettre en lumière la spécificité de ce cinquième palmarès, les différents profils de cette sélection et ce qu’elle nous raconte des transformations de la profession en cours.
L’architecture est une pratique inévitablement prise dans les crises et les enjeux – aussi bien situés que transversaux – qui touchent ses territoires et son époque. S’il est bien un point saillant qui ressort de cette sélection, c’est l’engagement et l’agilité des lauréat·es à œuvrer en contexte incertain. Les défis socio-écologiques contemporains – urgence climatique, insécurité économique, fragilisation des filières et des réseaux professionnels, etc. – impactent nécessairement leurs conditions d’exercice. Ces dernières s’imposent comme des contraintes, mais aussi comme des opportunités pour réinventer les positionnements et les modes de faire. Cela se traduit par les valeurs qu’ils et elles mettent à l’honneur au travers des territoires et des programmes investis, des stratégies d’agence ou de la place accordée aux différents types d’acteur·ices qui peuplent les projets urbains, architecturaux et paysagers.
En tant que jeunes architectes, les équipes empruntent des stratégies similaires d’accès à la commande en investissant de nouveaux gisements : ruralité et territoires en déprise, zones productives, dents-creuses de petites villes, études pré-opérationnelles, etc. Les sept équipes lauréates se rejoignent sur des objets de travail et des modalités opérationnelles ; les projets s’ancrent pour beaucoup en milieu rural, et concernent l’extension-transformation-réhabilitation de maisons individuelles – à la manière des incontournables transformations de l’Atelier du Ralliement – ou la construction d’équipements publics ruraux – c’est le cas de la salle polyvalente de Saint-Révérend produite par l’Atelier iso –, et de locaux productifs en zone d’activité. Quitter les métropoles pour investir les territoires périurbains ou ruraux, c’est accompagner les territoires dans les transformations majeures liées aux objectifs de densification du bâti résidentiel – comme s’y attelle Fleuve à Ancenis – et productif – un défi relevé par Figura à Nort-sur-Erdre –, induites notamment par le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ; c’est aussi s’engager dans les initiatives de revitalisation telles que les programmes « villages d’avenir » ou « petites villes de demain », programmes investis par l’agence Bientôt. Si aucune agence de paysage ne s’est manifestée, beaucoup d’équipes traversent les échelles d’intervention en élargissant leur activité à des projets urbains pour la revitalisation ou la densification de centre-bourgs – avec finesse, comme Bientôt à Blois –, ou travaillent l’insertion urbaine et écologique de leurs interventions grâce au travail étroit mené avec des paysagistes – systématisé pour les deux lauréates de Loom architecture.
Cinq ans après la quatrième édition des JAPL, qui valorisait pour la première fois des collectifs, aucune structure de ce type ne se présente comme telle dans cette génération du palmarès ; le travail des équipes témoigne cependant d’une volonté de faire des moments de transformation du cadre habité des scènes de partage et de félicité. Les aspirations participatives attestent en cela du déploiement de méthodes et d’outils utiles aux praticien·nes pour sortir du huis-clos de l’agence, comme c’est le cas de socle, dans son accompagnement multiple de l’association Polymorphe ou des actions menées par Bientôt autour de l’ilôt Papin de Blois. Elles sont le signe d’une génération qui milite pour davantage de dialogue et de transparence entre parties prenantes d’un projet – maîtrises d’ouvrage, entreprises, habitant·es, collectivités, etc. –, alors complexifié et enrichi de la diversification des points de vue. Une grande attention est ainsi portée au travail des artisan·es ; les architectes lauréat·es prennent le temps de visiter les filières et les projets réalisés par les confrères et consœurs, de rencontrer les professionnel·les voisin·nes. Certain·es – c’est le cas de l’Atelier du Ralliement – réservent une journée dans la semaine pour être « productif·ve différemment ». Ce goût de l’échange transparaît jusque dans les relations entre pair·es. Mettant de côté la logique concurrentielle propre à l’activité libérale, les équipes privilégient un esprit de camaraderie, lié à un engagement collectif en faveur d’un contexte plus juste et sain.
L’anticipation et le travail en commun constituent des clés de réussite du projet. Quand ils et elles sont plusieurs, les coéquipier·ères misent sur le partage des idées, des doutes, des phases et des tâches, et surtout sur la complémentarité et la variété des profils – Figura associe les compétences en design de process de François Cattoni et la formation d’architecte de Judith Busson. Le dialogue avec la maîtrise d’ouvrage s’appuie sur des carnets de références, des cartes à jouer, des visites de projets réalisés. Les membres de la sélection s’accordent sur l’importance d’intégrer l’économie de projet dans le processus de conception, afin d’être plus libres et d’aller plus loin, de soigner les détails en maintenant l’exigence de budget des client·es. Certain·es, comme les membres de Bientôt, vont jusqu’à développer leurs propres outils à ces fins. La réflexivité imprègne la pratique de ces jeunes architectes, qui mènent un travail approfondi sur la forme de leurs structures et leurs conditions d’exercice ; socle l’affirme, ils et elles les souhaitent plus souples, plus collectives et plus diverses. Ces praticien·nes partagent le constat que l’apprentissage du métier se poursuit, même après la fin des études en école d’architecture. Pour monter en compétences, ils et elles continuent à se former sur le terrain, au contact des artisan·es et dans l’échange avec les pair·es, mais aussi via des formations complémentaires (en recherche, en patrimoine, des formations sur les matériaux bio et géo-sourcés, les réglementations, etc). Il semble que l’accompagnement des mutations contemporaines des territoires habités suppose de faire preuve de curiosité et de monter en expertise. Les trajectoires individuelles des lauréat·es en sont un témoignage saillant.
Ces équipes ligériennes partagent également une appétence pour la déconstruction de schémas professionnels qui ne font plus modèle, troquant volontiers l’image de l’architecte star pour celle de passeur-médiateur, de « médecin » ou d’ « agriculteur·rice », liés à un territoire – à l’image de Fleuve depuis Ancenis. Les valeurs sont ailleurs, dans la défense collective de causes sociales et environnementales. Dans ce contexte, la part croissante des projets de réhabilitation n’est pas neutre, témoignant s’il en est, d’un geste d’« éco-réhabilitation » du rôle de l’architecte. En ce sens, les projets de transformation et de réparation de l’existant mettent en avant des compétences d’attention et de soin au déjà-là davantage qu’une quête de nouveauté ou de signature esthétique. L’Atelier iso le souligne bien, cet enjeu touche également à la propension des architectes à se frotter volontiers au « banal » et à des situations ordinaires.
Plusieurs équipes lauréates trouvent ainsi du sens à agir et développer une pratique « de proximité », tant pour l’économie des projets que pour des questions environnementales et sociales. Dans cette perspective, le choix du lieu (et du milieu) d’implantation de l’agence est important. Réinvestissant – à la manière de Loom – d’anciennes boutiques en rez-de-chaussée, les bureaux de certaines équipes participent à l’animation d’un quartier, d’un bourg ou d’un bassin de vie en accueillant différentes activités (commerces, événements, asociations, etc.) au gré des besoins et des opportunités. C’est aussi le déploiement de stratégies de résistance pour mettre en œuvre des matériaux issus du réemploi, ou de productions bio- et géosourcées en participant à la restructuration de filières locales.
Cette génération affirme toutefois un soin radical de l’architecture en tant que discipline et en tant que pratique. L’écriture architecturale est souvent sobre, précise, et transparente. Chez Figura ou l’Atelier du Ralliement, les matériaux de construction sont visibles et les détails de mise en œuvre sont particulièrement soignés. Le jury de cette édition a souligné une architecture joyeuse, fédératrice et joueuse chez Bientôt et Loom, un sens accru de l’espace chez Fleuve et Atelier iso, une grande attention au confort dans le travail de socle. Une preuve, s’il en faut, que l’engagement territorial et environnemental participent d’un renouvellement de la qualité architecturale.
Comme les éditions précédentes, le palmarès des JAPL 2025 met également à l’honneur des talents régionaux primés lors des AJAP – ici ceux de l’édition 2023 – dont font partie Pierre et Simon Arnou. Non loin des préoccupations portées par les JAPL, les deux frères défendent une architecture sobre, contextuelle et maîtrisée. Pour eux, « où faire projet ?», consiste à prendre appui sur l’existant : ses formes, ses matières, ses ambiances, ses usages latents et surtout sa spatialité potentielle. Leur approche privilégie l’attention au déjà-là, le soin du détail, la justesse du geste. Formés au patrimoine, à l’artisanat et au concours, ils conjuguent cultures du faire et exigence constructive, en faisant du chantier une étape essentielle et un lieu de dialogue. Ils travaillent avec soin, pour transformer mieux.
Pour la plupart des équipes, l’architecture s’écarte du spectaculaire pour affirmer une pratique engagée et précise. Elle commence par un relevé et s’écrit dans la continuité des lieux, pour prolonger leur vie sans l’effacer. Ce cinquième palmarès des JAPL confirme un virage générationnel dans la manière de faire projet, qu’il s’agisse des territoires d’exercices, du choix de prioriser les transformations de l’existant, de dispositions au dialogue, d’économie de moyens, d’attention aux ressources, etc. Sobres et agiles, attentives aux liens et aux lieux, les pratiques saluées ici revendiquent volontiers des positionnements situés et collaboratifs, œuvrant à des reconfigurations à la fois discrètes mais profondes de la profession et des territoires.
Jean Favreau
diplômé d’architecture, doctorant en aménagement de l’espace et urbanisme au laboratoire AAU-CRENAU (UMR 1563)
Lucile Garnier
diplômée d’architecture et docteure en urbanisme, chercheuse contractuelle au laboratoire AAU-CRENAU (UMR 1563)
Marie Tesson
doctorante en architecture au sein du laboratoire FoAP (CNAM), enseignante à l’ensa Nantes
Pauline Ouvrard
architecte-urbaniste, docteure en Aménagement et urbanisme, maîtresse de Conférences à l’ensa Nantes/ Nantes Université, chercheure au laboratoire AAU-CRENAU UMR1563 CNRS/MCC
